Je vous emmène dans un village reculé de Haute-Ariège. Margaux, que tout le monde appelle Zézette, vit ses derniers jours au cœur de son hameau. Pas simple de quitter le maillage délicat que constituent les petites âmes autour d'elle. À l’image de la clé qu’elle laisse derrière elle, Margaux ouvre délicatement les recoins inaccessibles et met au jour des vérités défendues.
228 pages. 15 €.
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claire.michaud.destriau@gmail.com
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Extraits choisis:
Prologue
Je ne
m’en suis jamais remise.
Aujourd’hui
encore, le chagrin est là, tapi au creux de mon ventre, prêt à sourdre si je
n’y prends garde. Bien sûr, j’ai appris à vivre avec, à dompter ma douleur, à
apaiser cette colère que je n’ai jamais pu exprimer contre quelqu’un ou quelque
chose. C’est ainsi. C’est la fatalité, l’ironie du destin qui se joue de nos
sentiments, de nos attachements. Impuissante, j’ai assisté au démantèlement de
mes repères. La maison de mon enfance vendue, le déménagement, la vie sous la
houlette de mes grands-parents paternels avant d’avoir un nouveau chez-soi. Si
on peut parler d’un chez-soi quand il ne s’agit que d’une location, dans une
HLM, où le béton a remplacé les prés fleuris, où l’odeur des poubelles a
succédé au parfum de mousse et de foin, où la seule façon d’être en altitude
c’est d’habiter au cinquième étage.
Brutalement,
mon corps fut projeté dans un monde étranger et hostile. De l’espace illimité à
la cohabitation restrictive, du murmure du vent à la clameur citadine, du vert
omniprésent au gris tout-puissant. Un goudron à l’odeur écœurante lors de
canicule tapissait le moindre recoin, gommant les aspérités, les ondulations du
sol sommé d’être lisse. Au firmament, le cri des aigles et milans disparut,
écrasé par les ailes métalliques des avions qui jetaient sur les immeubles
leurs ombres vrombissantes. Terrifiantes.
Dans la
rue, les passants portent bien leur nom : ils passent, ne font que
traverser le tumulte. Si seuls, au milieu de leurs pairs. Ombres fugitives,
rasant les murs, anonymes. Je n’ai jamais été aussi seule qu’en ville où
personne ne nous regarde vraiment, ne s’inquiète sincèrement de notre devenir.
Chacun gère son amertume, tait ses soucis, qui n’intéressent personne. Parfois,
un échange surréaliste prend corps, lors d’un trajet en métro ou d’une file
d’attente. Mais très vite, l’instant d’humanité s’oublie et s’efface
définitivement. Souvent aussi, les paroles s’emportent et une dispute
éclate : l’espace exigu rend agressif et chacun tente d’y trouver une
place, sa place. Plus qu’une question d’honneur, c’est une question de survie.
Et les
yeux de ma mère. Jamais je n’oublierai son regard douloureux à la signature de
l’acte de vente. Elle perdait tout, de nouveau. Cette enfant au destin tragique
ne bénéficia guère de cadeaux durant son existence. Mais elle fit face, comme
toujours. Avec un courage insoupçonné, elle
repartit au combat, tête haute. Parce que continuer à genoux lui était
insupportable et qu’elle désirait ardemment le bonheur des siens. On ne sort
pas indemne du sentiment d’abandon, mais il
permet parfois d’accomplir des exploits tant on a la rage de vaincre.
Néanmoins, un souffle malveillant avait éteint la flamme au fond de ses
pupilles et des cernes noirs creusèrent sournoisement une lune sombre sous ses
paupières. À la commissure des lèvres qu’elle gardait pincées, de profonds plis
creusaient désormais un sillon incurvé.
Le
sourire entre parenthèses et le regard en deuil.
Ma mère.
À la fin
de l’été de mes quatorze ans, tout mon univers rassurant bascula dans le néant
le plus sombre. L’impression tenace de vivre un cauchemar ne me lâcha plus. La
sensation d’une existence absurde et stérile prit corps et grignota la moindre
parcelle de mon âme en peine. Plus rien n’avait de sens, car l’essence même de
toute vie était niée. Sans racine, sans repère, j’expérimentai longtemps cette
désagréable impression de n’être nulle part à ma place. Le déni même d’exister,
tout simplement.
Indubitablement,
il y eut un avant et un après.
Avant.
Insouciante, je vivais alors hors du temps, comme figée dans une dimension aux
frontières infinies. Sans crier gare, le couperet tombe et tranche ma vie en
deux. Il faut se séparer de la maison, se déraciner du village niché dans la
montagne, s’arracher de ses amis.
Après.
Mon univers s’est flétri, comme enfermé dans une coquille de noix. Je suis
d’ailleurs devenue claustrophobe, ce n’est pas innocent.
Sans
lumière, sans air. Sans eau, privée de liberté. Je vous mets au défi d’y survivre.
Je ne
m’en suis jamais remise. Ça non.
L’été de
mes quatorze ans me hante encore.
Première
partie
Le
sursis
Chapitre
1
Coincées
entre deux flancs de montagne, les estives bruissaient, écrasées par la chaleur
malgré l’altitude. J’aimais ces heures suspendues où les hommes et les bêtes
s’effaçaient pour échapper à la touffeur des après-midi d’été. Pas même le
torrent qui glissait dans une faille ne parvenait à apporter un peu de
fraîcheur à cette journée torride. Comme insensibles à la chaleur, les vaches
paissaient, flagellant les taons d’un vif coup de queue. Leur cuir chaud, à
l’odeur épaisse, frissonnait parfois et tandis qu’elles secouaient la tête pour
écarter des mouches tenaces, leurs cloches tintaient furieusement. Depuis le
col où je me tenais, j’apercevais le lac épanoui dans une combe et les
bergeries qui constellaient la zone de pacage. […] Un brin d’herbe coincé dans
la bouche, je savourais le paysage, ce territoire annexé à la montagne sauvage.
Il devint mon domaine, ma conquête. Et le soleil éclatant en faisait partie.
Une perle de sueur me caressait délicieusement la nuque sous ma queue de cheval
éméchée. […]
Les
secondes qui précédaient le départ de mon belvédère étaient incroyablement
jouissives. J’étais alors maître du temps ; je décidais de la durée de mes
contemplations et du moment où je me précipiterais dans la pente.
Une fois
ma décision prise, je m’élançai sur le chemin étroit, les bras libres, la brise
portant mes pas. Mes pieds sûrs connaissaient parfaitement le terrain, ses
trous comme des blessures et ses cailloux glissants. Des senteurs de thym
sauvage et de genêt me surprenaient parfois tandis que j’accélérais le long des
sentes buissonneuses. […]
Même
franchir un ruisseau ne m’incitait pas à ralentir : j’en connaissais les
pierres pour le passer à sec. J’arrivai aux bergeries, toujours pas essoufflée
et portée par mon élan, je poursuivis ma descente effrénée. Enfin je m’enfonçai
dans la forêt, surprise par l’ombre et la différence de température, par le
parfum de feuilles qui emplissait le sous-bois et le bourdonnement plus tonnant
du torrent. Je ne ralentis qu’au passage de la passerelle qui m’obligea à
incurver ma course. Avant de rejoindre le hameau, je bifurquai dans un sentier
envahi de fougères l’été. Enfin se dessinait entre les frondaisons une masse
rocheuse qui annonçait la fin provisoire de ma course. En avançant un peu plus
vers la paroi minérale, on pouvait distinguer des panneaux de planches de bois
et un toit d’ardoises. Ma cabane. […]
J'ai passé toute mon Enfance chez mes grands parents à Prat Communal ... hélas la maison a été vendue !! j'aimerais me procurer votre livre dédicacé par vos soins . Merci .
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